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La débrouille, quand tu nous tiens !

La débrouille, quand tu nous tiens !

La débrouille est aussi simple que la débrouille elle-même. Avec les trente mille francs que le gouvernement lui a alloués, une dame s’installe au bord d’une artère non loin de son domicile. Elle offre au tout venant des gâteaux de haricot, des frites d’igname. Elle n’a pas eu besoin d’une grande expertise pour lancer son commerce. Lequel n’a pas exigé d’elle un équipement lourd et sophistiqué.

Pour cette dame, comme on dit, ce n’est pas le Pérou. Des bénéfices plutôt sommaires, mais non négligeables pour assurer durée à l’activité, étoffer sa clientèle, se mettre du baume au cœur, prendre dignement, auprès des siens, la relève d’un mari défaillant. Celui-ci a abandonné, en effet, depuis des lustres, le domicile conjugal.
Cette image de succès dans l’informel est gravée aussi bien dans le paysage humain de notre pays que dans l’esprit des huit millions de Béninois. On peut parfaitement comprendre, dans un environnement de grande misère, que l’on bricole, par nécessité,  des passerelles sommaires pour parer au plus pressé, pour faire saisir une main secourable face à l’urgence. Mais on ne saurait généraliser la débrouille, ni la  systématiser, encore moins l’ériger en politique. Il y a des succès qui, de loin, flattent. Mais ils sont loin d’en être. Car, tout ce qui brille n’est pas or.
C’est cette idée de débrouille, avec les quelques éclaircies, qu’elle laisse voir, qui entretient bien des démissions, bien des illusions, par conséquent, bien des déceptions. Démission des Etats. Ils renoncent à réfléchir, à concevoir et à mettre en œuvre des politiques qui promeuvent de vrais métiers, de vrais hommes et femmes de métier, des entreprises dignes de ce nom, visibles et lisibles, libérées des tares de l’informel
Pour ne prendre que cet exemple : l’activité de taxi motos est née de l’absence d’une politique  de transport public  dans nos centres urbains. La nature ayant horreur du vide, la débrouille a tôt fait de se convertir en « zémidjan ». La demande se faisant de plus en plus forte en transport urbain, dans le contexte d’un chômage persistant, c’étaient des milliers d’emplois  qui se trouvaient à portée de motos pour de jeunes Béninois. Dès lors, l’Etat allait se soulager  de ses responsabilités en matière de transport public en zones urbaines, d’emplois sur le front du chômage. Mais, à quel prix ?
Voilà comment la débrouille nous offre des sorties provisoires, des arrangements de fortune. Et nous de nous  dépêcher de transformer ces palliatifs et expédients en solutions durables ou en politiques systématiques. Comme si, face à des cas de cancer aggravés, nous nous contentions de faire baisser la fièvre à coup de cachets d’aspirine, laissant intact le mal qui sévit.
La débrouille a ainsi envahi le secteur de la presse. Qui s’étonnerait  de voir la profession  prise d’assaut, aujourd’hui, par des mercenaires en tous genres ?  Deux ou trois pelés, galeux se retrouvent autour d’une bière. Ils concluent les retrouvailles par la décision de lancer un journal. Aussitôt dit, aussitôt fait : le rêve d’un soir s’incarne, un matin, en une feuille de choux. Résultat des courses : cent quotidiens dans les kiosques à journaux, sur un marché de la publicité, chaque jour plus problématique, avec huit millions de Béninois qui lisent de moins en moins.
La débrouille a ainsi envahi l’univers de la musique et de la chanson. Un quidam, surgi de nulle part, bricole un album. Il pense  s’offrir un passeport pour aller d’un organe de presse à l’autre ; ou un visa pour des prestations en play-back. Avouons qu’avec un tel artiste improvisé, nous nageons en pleine confusion. C’est l’image sociale des vrais artistes-musiciens qui se  brouille, c’est leur carrière qui s’embrouille.
La débrouille a ainsi envahi le monde naissant des hôtesses et des mannequins. La première venue croit avoir des aptitudes  pour exercer une profession qu’elle n’a pas apprise. Tout le monde se plaît ainsi à faire de l’amateurisme, à faire dans l’approximation, à se faire passer pour ce qu’il n’est pas. Au fait, et si la débrouille n’était  qu’une des multiples facettes de la comédie humaine ?

Jérôme Carlos
La chronique du 8 août 2011



09/08/2011
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